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Un article du site « Rural Rouge » : https://ruralrouge.fr/

mardi 23 mai 2023, par Pixef

Un article du site « Rural Rouge » : https://ruralrouge.fr/

Le camion du laitier

Par Olivier Morin, agriculteur biologique à Obterre (36)

Dans les cours des fermes de Brenne, le camion du laitier tournera-t-il encore demain ?

Derrière cette question, plusieurs autres se bousculent. Si la citerne de la laiterie ne peut plus tourner, c’est d’abord parce qu’elle est de plus en plus grosse. En effet, pour « rationnaliser » les tournées, pour payer moins de chauffeurs, les collecteurs de lait se sont dotés de camions plus gros, plus longs et plus lourds. Adaptés aux fermes modernes où des vaches ruminent de l’ensilage sous une stabulation entre deux passages au robot de traite. Pas adaptés aux petites exploitations familiales brennouses dont les cours sont parfois étroites et pas toujours suffisamment empierrées pour supporter des roues de semi-remorque qui tournent sur place.

Mis en demeure par la laiterie d’adapter la ferme aux camions, l’éleveur renoncera à s’endetter pour réaliser les travaux. Las, les vaches parties, la question du passage du camion ne se posera plus.

Mais s’il doit tourner demain, encore faut-il que le lait puisse payer celui qui le produit. Là encore, le problème est de taille. Si le prix moyen du lait dans l’Union Européenne avoisinait les 500€/1000L au début de l’automne, Sodiaal et Lactalis, les deux plus gros acteurs du lait en France, ont annoncé des accords sur les prix entre 430 et 490€. Et pour pouvoir en vivre, ce sont parfois quelques euros supplémentaires qui permettent de faire la bascule. L’abandon d’outils de gestion des volumes des marchés, le développement d’accords de libre-échange à l’international… Tout cela a des conséquences concrètes sur la pérennité des fermes en polyculture-élevage de l’Indre, sur leur physionomie et sur la vie rurale qui en découle.

C’est ainsi que, faute de rémunération du travail paysan, les éleveurs laitiers sont les premiers à décapitaliser leur cheptel. Un mot sibyllin pour dire qu’ils vendent des vaches. Quelques-unes et parfois toutes. Celles-ci vont alors partir à la réforme et grossir les rangs des abattoirs. Depuis la fin des quotas laitiers en 2015, jetés sur les prix des marchés mondiaux, les éleveurs ont été contraints de se séparer de beaucoup de bêtes. A leur corps défendant, ces vaches sont venues alourdir le marché de la viande bovine, faisant baisser le prix payé aux éleveurs de races à viande. Eux aussi, très présents en Brenne, mais pour combien de temps ?

Fragilisés par des prix à la baisse, par des terres souvent ingrates sur lesquelles il est difficile de faire pousser des céréales, certains se résignent à chercher des revenus dans des domaines plus ou moins éloignés de l’agriculture et de sa vocation à nourrir le genre humain.

Les promoteurs privés de l’éolien et du photovoltaique l’ont bien compris et vont sonner aux portes des paysans acculés pour leur proposer des contrats alléchants. D’autres éleveurs, calculette en main, se rendent compte qu’un hectare de terres loué pour la chasse rapporte plus que les vaches qui y paissent. Fi du camion du laitier, ce seront désormais les 4*4 des chasseurs qui tourneront dans la cour. Quant aux autres, ils partiront doucement en retraite, sans repreneur pour leur troupeau.

Ces transformations silencieuses, qui se font souvent dans la douleur, ne sont pas inéluctables. Si l’on veut que demain, le camion du laitier klaxonne à hauteur d’homme en passant dans les villages, il faudra des mesures plus fortes. Localement, mais pas seulement. La dénonciation des accords de libre-échange et leur annulation, l’organisation de conférences annuelles des prix avec les agriculteurs et les acteurs de la filière, sous l’égide de l’Etat, une politique d’installation ambitieuse qui favorise l’élevage herbager et de qualité (sans produits phytosanitaires), le tout adossé à une PAC refondée en profondeur.

Voilà un chantier enthousiaste pour que nos campagnes de Brenne vivent de plus belle.

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